Jeudi 25 mai, nous quittons l’Autriche comme nous y étions entrés : sous un ciel morne et dans la fraîcheur. Dix journées passées au pays de Mozart et de Sissi, et une seule sous un complet, vrai, grand soleil. Mais quelle journée !!!

Nous avions commencé par une petite pause à Innsbruck, capitale du Tyrol. Charmante, parée de ses vieilles rues aux façades colorées, marquée par l’histoire de la dynastie des Habsbourg, et dominée au nord et au sud par ses montagnes toutes proches (dont les sommets ne se découvrirons malheureusement pas pour nous).

Nous nous étions repus de wienerschnitzel, apfelstrudels, et autre kaiserschmarrn. 

Nous avions poursuivi en suivant la Ziller puis la Salzach. Larges et vertes vallées agricoles où la campagne est en effervescence à l’occasion des foins. En ce week-end de l’ascension nous croisons ici, des joueurs de Stockshießen qui lancent des palets sur des dizaines de mètres, à mi-chemin entre pétanque et curling, là un rassemblement d’harmonies en costumes traditionnels.

Au passage, nous avions rendu visite aux chutes de Krimml, présentées comme les plus hautes d’Europe avec leurs 380m, puis, sous le regard protecteur de la chaine des Hohe Tauern et sa série de sommets à plus de 3.000m, nous avions poussé pour un plouf dans le Zeller See.

Alors s’est ouverte devant nous la Großglockner Hochalpenstraße (haute route alpine du Grossglockner), qui franchit le plus haut col d’Autriche (et l’un des plus hauts d’Europe). Son pédigrée nous impressionne un peu : 21 km (les 14 derniers entre 10 et 14% de pente), 1750m de dénivelé positif et, sur le chemin, le sommet de l’Edelweißspitze à 2570m. Un challenge assurément pour des cyclistes transportant leur maison…

Départ à 7h pour éviter le trafic des motos et des voitures de sport qui viennent tester leurs pilotes sur cette route mythique, et un petit miracle se produit ce matin. Le plafond est d’azur, l’air est frais, immobile et transparent. On ne pouvait rêver meilleures conditions pour se lancer dans l’ascension.

L’ombre des sapins, les prairies à marmottes, les champs de neige s’enchaînent au long de cette grimpette coriace mais régulière durant laquelle on a tout loisir de méditer l’adage « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » (Jean de La Fontaine – Le Lion et le Rat). Le décor qui défile à 5km/h resplendit un peu plus à chaque mètre arraché à la pesanteur. Les massifs enneigés illuminés par le soleil matinal offrent un tableau sans pareil. 

Trois bonnes heures plus tard, nos roues foulent les pavés du dernier tronçon qui monte à l’assaut du sommet de l’Edelweiss entre deux murs de neige. Nous y sommes ! Au beau milieu du spectacle majestueux des plus hauts sommets d’Autriche nous savourons cette petite victoire sur nos appréhensions et gageons que nos jambes ne nous auraient pas portées jusqu’ici sans l’entraînement acquis par tous ces kilomètres pédalés depuis Paris.

Il faut encore traverser le massif, franchir le tunnel qui perce le col, et nous voici côté sud pour une descente au soleil, dans une image d’Epinal de l’Autriche qui nous dépose délicatement au charmant camping à la ferme de Lindlerhof à Lassach.

La grande chaîne des Alpes passée, nous reprenons notre cap au levant au gré de la Drave et du Gail bordées par les Dolomites, à coup de petits cols pour sauter d’une vallée à l’autre. Déjà le ciel se rembrunit, jusqu’à se fâcher parfois pour de bon.

C’est ainsi que nous escaladons, le 25 mai, le Nassfeld pass pour laisser l’Autriche derrière nous sous une chape de nuages. Ils nous auront sans doute privé du charme et de l’éclat des vallées du Tyrol et de la Carinthie qui nous sont ainsi apparues un brin austères…Mais comment se plaindre de ce printemps pluvieux alors que tous les lacs de barrages croisés sur notre route, du Morvan au Jura, de l’Engadine au Tyrol, présentaient des niveaux d’étiage inquiétants pour une sortie d’hiver. On reviendra voir l’Autriche en été !

Côté Adriatique, le col porte le nom plus chantant de Passo di Pramollo, et tout est à l’avenant : soleil, chaleur, végétation, odeurs de pin. C’est l’été ici ! Une descente effrénée sur une route étroite et défoncée nous conduit à Pontebba et ses terrasses bondées de cyclistes. Mais que font-ils donc tous ici ? Nous comprenons cette soudaine affluence en nous embranchant pour une dizaine de kilomètres sur la via Alpe-Adria, itinéraire vélo très fréquenté qui relie Salzbourg à Trieste. Une piste parfaite sur une ancienne voie ferrée nous laisse glisser en douceur et en balcon sur la rivière Fella jusqu’à Chiusaforte. Marianna, Paolo, Cristina et les autres ont pris possession de l’ancienne gare pour la convertir en bar-resto à cyclistes, où ils offrent même la possibilité de camper aux voyageurs. C’est « the place to be » à l’heure du déjeuner.

Mais il est déjà temps de quitter la piste cyclable bien tracée où l’ennui nous rattrape rapidement, pour remonter, loin du flot, la vallée sauvage de la Raccolana jusqu’au magnifique lac de Predil. Le col éponyme nous ouvre la porte de la Slovénie pour une descente magique sur Bovec dans la lumière du soir.

Aucune image en tête, aucune idée préconçue sur ce petit pays d’un peu plus deux millions d’habitants à cheval entre Europe centrale et méditerranéenne, tous nos sens sont en éveil pour le découvrir.

Notre traversée débutera par le parc national du Triglav (du nom du plus haut sommet du pays – 2.864m), et un itinéraire qui nous permettra de l’embrasser sous toutes les coutures. Col de Vršič (le terrain de jeu de Pogačar et Roglič), Kranjska Gora, lac de Bled, sommet du Viševnik, lac de Bohinj, sont au menu de notre balade. Ils nous servent sur un plateau : montagnes rocheuses abruptes, rivières sauvages et cristallines, forêts luxuriantes à perte de vue, lacs étincelants, et villages typiques.

Les Alpes Juliennes sont un véritable ravissement pour les amoureux de nature brute.

Nous sommes immédiatement séduits par la décontraction, la sympathie et le sens de l’accueil des slovènes, ainsi que par la cuisine variée et généreuse qui a pris le meilleur de l’Autriche, de l’Italie, et des Balkans, et nous est servie sur des terrasses conviviales et ENSOLEILLÉES.

Première nation à avoir déclaré son indépendance lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, la Slovénie est démocratique depuis 1991. Elle nous apparait d’emblée comme un pays ”où il fait bon vivre”, avec un niveau d’équipement, d’accueil, et de développement en tout point conforme à ceux que nous connaissons en Europe occidentale.

Notre arrivée à Ljubljana confirme ces premières impressions. La Slovénie n’a rien d’un « pays de l’Est » ! Le tremblement de terre destructeur de 1895 a laissé place à un centre moderne reconstruit au 20ème siècle. D’abord sous l’influence de l’Art Nouveau, puis sous la direction de l’architecte, et enfant du pays, Joseph Plečnik qui en a entièrement repensé l’urbanisme et y a construit de nombreux édifices. De son projet visionnaire poursuivi depuis lors, résulte aujourd’hui un centre ville entièrement piéton, vert, apaisé, et très agréable à arpenter.

Confortablement installés dans un appartement cossu en plein centre de la petite capitale, nous accordons une permission de trois jours à nos jambes en reconnaissance du travail accompli (déjà 2.200km), et faisons le plein de terrasses, de flâneries et de shopping (si, si).