D’Oruro au Chili par les déserts du Sud Lipez…
Nous prenons nos quartiers pour trois jours de repos au Grand Sucre Hôtel, vieil établissement du centre d’Oruro au charme un peu désuet, où nous avalerons nos meilleurs petits déjeuners boliviens !
Finalement, cette ville annoncée comme « sale et bondée » constitue, avec sa plaza de armas verte et accueillante et son marché bien achalandé, un parfait camp de base pour préparer notre traversée des déserts du sud-ouest du pays.
Au programme : révision des vélos, étude détaillée des étapes et des profils, impression des topoguides, importation des traces GPS dans nos téléphones, et début du ravitaillement pour une dizaine de jours d’autonomie. On profite du supermarché pour faire le plein des produits que nous aurons du mal à trouver par la suite (muesli, soupes, riz cuisinés, barres de céréales…)
Le 20 octobre, nous renouons avec l’Altiplano pour quelques jours de liaison jusqu’au premier temps fort de notre parcours : le fameux Salar d’Uyuni…
Après à peine 45km le premier jour, casse de la jante arrière de Céline ! (même symptôme que celle de Jérôme il y a quelques semaines). Nous poursuivons jusqu’à Poopo, et, en deux coups de bus et un tour au marché d’Oruro, nous sommes de retour à 15h30 avec une roue réparée. Quelle chance ! Et dire que ça aurait pu nous arriver une semaine plus tard en plein désert…
Nous filons les deux jours suivants, dans le merveilleux accord mécanique de nos jambes et de nos machines qui nous permet d’abattre sans fatigue une centaine de kilomètres dans la journée, avec nos 25 kg de bagages.
A mesure que nous gagnons le sud, le plateau agricole se mue en désert aride, rocheux et alcalin. Les trombes de poussière façonnées par le vent incessant dansent autour de nous dans ces paysages infinis. L’agriculture et l’élevage se raréfient peu à peu. Les grands lacs préhistoriques évaporés il y a plus de 10.000 ans, ont cédé la place aux déserts de sel et aux lagunes saumâtres qui font de cette région l’une des plus âpre et des plus sauvage du continent. Seules la quinoa et les vigognes résistent encore ici au climat.
A Salinas de Garci Mendoza, fin de la route goudronnée. Une douzaine de jours et 450 km de pistes nous attendent maintenant jusqu’à la frontière chilienne.
Sur les hauteurs de Tahua, nous découvrons avec émotion et émerveillement le salar d’Uyuni. Cette mer de sel, étendue blanche immaculée, offre un paysage unique au monde. Sous l’œil du Volcan Tunupa, nous nous élançons pour une traversée nord-sud de la première réserve de sel et de lithium (l’or gris des batteries de nos smartphones et de nos futures voitures électriques) de la planète. Nos roues crissent sur les plaques de sel hexagonales dans un paysage parfaitement horizontal. Sensation enivrante de glisser dans l’immensité, à 3.600 m d’altitude, seuls entre mer et ciel.
L’isla Incahuasi, rocher de lave orné de cactus, émerge au milieu de cet océan blanc. Nous y faisons une arrivée remarquée en fin d’après-midi, à l’heure où les groupes achèvent leur visite. Ils nous laissent ensuite l’île toute entière pour une douche en plein air et un bivouac de rêve. Nous profiterons ainsi d’un coucher et d’un lever de soleil magnifiques sur le salar.
Encore une demi-journée de traversée pour atteindre la rive sud en profitant de cet espace magique sous un vent portant. Nous retrouvons la terre ferme pour rallier San Juan de Rosario, village du bout du monde, dernier îlot habité avant le désert du sud Lipez sur la route des lagunes. Nous y complétons nos provisions par les denrées courantes et nous mettons d’accord avec un chauffeur de 4×4 pour qu’il nous transporte un paquet jusqu’à mi-parcours. Nous voici déchargés d’environ 6kg de nourriture et de matériel superflu. Nous ne transporterons ainsi « que » les 2/3 de notre ravitaillement, et 15 litres d’eau nécessaires à 2 jours d’autonomie.
C’est avec une pointe d’appréhension mêlée d’excitation que nous abordons la route des lagunes au matin du 25 octobre. Ça n’est pas pour rien que le Dakar, depuis son exil en Amérique du Sud, a fait de ce désert un de ses terrains de jeu favori. Même si nous avons préparé minutieusement le parcours, que nous le savons sillonné par les 4×4 de touristes, et ponctué tous les deux jours de vélo maximum d’hôtels ou de refuges, même si quelques centaines de cyclos effectuent cette traversée chaque année, nous craignons un peu la difficulté des pistes sableuses, le froid des hautes altitudes auxquelles nous allons camper, et le vent qui peut y être terrible.
Nous faisons connaissance avec le sable et le vent dès la première étape et la traversée du salar de Chiguana. Ils nous sera difficile d’y trouver un abri efficace pour camper, et notre tente subira son premier test aérodynamique avec succès, face au volcan Ollague qui nous salue au passage d’un panache de fumée blanche.
Nous nous hissons ensuite à 4.300 m, notre altitude plancher pour les jours à venir, qui verront s’enchaîner les cols entre 4.600 et 4.925 m (point le plus haut de notre voyage) séparants les dépressions des lagunes.
La piste est difficile. Il n’y est plus question de vitesse, même en descente, mais de progression. Jeu de stratégie visant à choisir, parmi les traces des 4×4, celle qui sera la plus portante, et d’équilibre permanent pour rester sur deux roues lorsque la stratégie n’a pas été la bonne. Et quand le sable s’efface, il faut composer avec la tôle ondulée infernale qui nous disloque de la racine des cheveux à la pointe des orteils.
Nous attaquons très tôt (entre 6h30 et 7h15) pour profiter du calme matinal. Mais le vent a choisit de se lever tôt cette semaine, et la soufflerie se mettra en route avant 9h pour ne cesser de s’amplifier jusqu’au soir.
Les lagunes s’égrènent en chapelets au fil de notre route, rivalisant de couleurs invraisemblables. Blanches, jaunes, rouges, vertes, ou bleues, mouchetées de flamands roses et ceintes de volcans à la minéralité implacable. Paysages uniques, grandioses, baignés d’une lumière crue et d’un air transparent, sous une plaque de ciel bleu bleu bleu.
Nous progressons mieux que nous ne l’avions envisagé, mettant finalement peu pied à terre, là où nous croyions devoir pousser nos montures sur des kilomètres sableux. Nous rallions donc presque chaque soir un refuge et dormons à l’abri du vent et du froid (il fait 6 à 8 degrés dans nos chambres, contre -10 dehors au petit matin).
Nous y partageons agréablement nos soirées avec Claude et Guy, un couple grenoblois qui roule sur les mêmes traces.
Nous mesurons une fois de plus à quel point notre moyen de transport nous permet de traverser ces espaces touristiques à contretemps. Nous nous retrouvons ainsi seuls pour admirer le vol matinal des escadrilles de flamants sur les rives de la Laguna Colorada, seuls pour pique-niquer à l’Arbol de Piedra, ou encore seuls pour profiter des eaux thermales de Los Polques au coucher du soleil.
Nous bouclons ainsi fièrement et en bonne forme notre « Dakar cycliste » en 8 jours, dont un de repos au bord de la Laguna Colorada, au lieu des 10 envisagés. Le vent aura été aussi raisonnable que possible, parfois même favorable, à quelques heures près qui nous auront vu avancer péniblement à 6 km/h sur le plat.
Le 1er novembre nous passons la frontière chilienne et retrouvons le bitume exquis pour une plongée de 40 km vers San Pedro de Atacama 2.000 m plus bas.
Ici c’est l’été, le soleil est chaud. On a changé de monde. Avec 4.970 km au compteur et 70 000 m de dénivelée positive, short et tongs sont de rigueur pour quelques jours !