La Paz ne présente pas véritablement d’intérêt touristique. Nous y ressentons néanmoins la jeunesse et la vitalité d’une ville moderne, et y flâner n’est pas désagréable pour peu que l’on ne s’écarte pas trop des quartiers centraux.

Nous faisons un saut au service de l’immigration pour obtenir une prolongation de notre visa (les postes frontières ne les délivrent que pour 30 jours). Nous avons bien rodé notre argumentaire : on voyage à vélo, on avance lentement, il y a tant de belles choses à voir en Bolivie,…
Dans le hall, une centaine de personnes attendent déjà leur tour. Mauvaises langues, on imagine déjà y passer la matinée. Mais miracle, on nous conduit immédiatement au guichet dédié à cette formalité. On a à peine le temps de commencer à raconter notre salade que les tampons ont déjà frappé nos deux passeports. Nous ressortons en 2 minutes 30 chrono avec un visa de 60 jours !

La perspective de rallier Oruro par la grande route qui se poursuit sur l’Altiplano ne nous enchante pas plus que de limiter notre vision de la Bolivie à ses hauts plateaux et aux déserts qui suivront. Notre temps n’étant pas compté, nous nous offrons le luxe d’en perdre, en faisant une nouvelle diversion à notre itinéraire. Nous troquons donc 260 km de route plate et bitumée, contre 560 km et 12.000 m de dénivelé positif, principalement sur piste, pour aller traîner nos pneus dans les Yungas.
Région de transition entre l’Altiplano et l’Amazonie, flanquée au contrefort Est des Andes, le climat chaud et humide des Yungas leurs confèrent une image de montagne opulente et agréable peuplée de gens chaleureux, que nous avons envie de découvrir.

Nous nous extirpons de La Paz par le col de La Cumbre (4.770 m). Sortie d’agglomération par une côte difficile dans un flot chaotique de klaxons et de fumées noires. On en a presque la nausée.
La pluie nous surprend au passage du col, bientôt rejointe par un épais brouillard. Ce duo de choc fera un véritable hold-up sur nos 35 premiers kilomètres de descente, nous privant des paysages et nous congelant littéralement.

Les intempéries passent avec la nuit et, au réveil, notre bivouac en belvédère à Chuspipata révèle un panorama splendide sur le « camino de la muerte ».
Bien avant les groupes qui viennent ici chaque jour chercher une dose d’adrénaline en dévalant la WMDR (« World Most Dangerous Road »), nous profitons de cette magnifique descente de 35 km, piste étroite aux à pics impressionnants, qui ne mérite vraiment plus son nom depuis qu’une nouvelle route l’a privée de son trafic.

« We survived the death road » comme ils disent (et même CC survived twice !…cette fois sans joli t-shirt pour le prouver), mais surtout, nous avons survécu aux 7 km et +500 m de remontée sur une route pavée de vilains galets jusqu’à Coroico !

Au bout de cette plongée dans la jungle, le village apparaît en véritable carte postale des Yungas : chaleur, soleil, eau abondante, végétation luxuriante, douceur de vivre. Nous nous posons dans une cabaña de l’hôtel Sol y Luna, petit coin de paradis noyé dans la verdure. Quatre jours de repos total entre balades, baignades, lecture,…Nous savourons notre vie de Robinson dans les arbres au milieu des oiseaux.

Huit jours sur les pistes des Yungas seront ensuite nécessaires pour rejoindre la route principale qui mène à Oruro.

Le parcours est physiquement exigeant et parfois décourageant. Nous passons les premières journées sous les averses, sur des pistes boueuses. Puis poursuivons dans une chaleur implacable et la poussière qui l’accompagne. Les côtes sont raides, souvent irrégulières et mal tracées, enchaînant plats et raidillons abrupts qui cassent les jambes. Nos roues font du gymkhana entre les pierres et les nids de poules, et nos journées dépassent allègrement les 1.000 m de montées.

Sur ces chemins accidentés, nous serpentons de villages perchés en vallées perdues (Chulimani, Irupana, Circuata, Inquisivi, Quime,…), enchaînant de grandes vues en balcon où les pans de montagnes s’entrecroisent à l’infini, de longues descentes bordées de ravins dont beaucoup mériteraient le titre de WMDR, et des baignades bienfaisantes où l’on plonge tout habillé pour profiter de la fraîcheur de l’évaporation dans la côte qui suit.

Suivant l’altitude, défilent sous nos yeux des plantations de mangues, entonnoirs verts au creux des vallées, de café, ou d’eucalyptus. Mais les pentes se couvrent le plus souvent de coca. Sa culture, est maintenant favorisée par son inscription dans la nouvelle constitution du pays comme « partie intégrante du patrimoine bolivien et de la culture andine ». Elle alimente donc hypocritement, sous couvert d’utilisation traditionnelle, l’économie souterraine du pays. Les Yungas sont ainsi devenues un petit eldorado attirant les agriculteurs des régions voisines, et convertissant les locaux à cette production juteuse qui tend vers la monoculture.

Les villages traversés nous apparaissent souvent très rudimentaires et peu accueillants. On nous explique que personne n’investit ici à l’amélioration du cadre de vie car la manne apportée par la coca pourrait s’envoler en un clin d’œil en cas de changement politique.

Pour la première fois depuis notre départ, les difficultés du parcours sont difficilement éclipsées par la beauté des paysages et le plaisir de la découverte. Après trois mois et demi, peut-être commençons-nous à nous lasser des chambres poussiéreuses aux draps sales, des toilettes qui puent, des assauts des chiens, de la distance (timidité ?) affichée par les boliviens, de la même soupe, avec le même poulet et le même riz, dans les mêmes bouibouis douteux…

Nous quittons les Yungas par la difficile ascension de l’Abra Tres Cruzes (4.730 m / +1.700 m), qui nous ramène sur l’Altiplano (et sur le bitume !) à Konani, satisfaits d’avoir bouclé ce parcours qui nous a donné du fil à retordre, et finalement heureux d’avoir découvert un visage différent de la Bolivie.

Une dernière étape de 80 km abattue en moins de 4h (c’est bon le plat, même sous la bruine !) pour atteindre la grande ville d’Oruro. Nous nous y posons pour préparer la logistique de la fin de notre séjour bolivien à travers les déserts du Sud, qui s’annoncent comme l’un des moments forts de notre voyage…

PS: la carte de l’itinéraire exact que nous avons suivi jusqu’ici est à jour sur la page « Où ? Quand ? Comment ? «