« C’est safe là-bas ? », « Y a quand même des régions plus sûres pour partir en voyage ! », « Faites attention à vous ! »… Voici un petit échantillon des inquiétudes entendues lorsqu’on a annoncé à notre entourage qu’on partait se balader en Jordanie sur nos fidèles destriers à deux roues.

Nous on pensait plutôt parfum d’Orient, déserts, montagnes, mers (Morte et Rouge), Petra, Lawrence d’Arabie : un programme alléchant pour mêler culture et aventure dans une traversée du royaume Hashemite par les chemins détournés. Miam miam !!!

L’idée est née après la découverte du Jordan Bike Trail (https://jordanbiketrail.com/), un itinéraire conçu pour promouvoir le tourisme dans le pays. Une trace idéale, mixant pistes et petites routes sur des distances compatibles avec nos deux semaines de voyage, un site fourmillant de détails sur la cartographie, les profils, les ravitaillements, les hébergements. Il ne nous en fallait pas plus pour sauter sur Liligo et réserver nos billets d’avion pour ce début avril 2019.

Du 7 au 8 avril – Madaba

Nous nous réservons deux journées tranquilles à Madaba pour passer en mode vacances et prendre la température des lieux.

La région est réputée pour ses mosaïques qui pavaient le sol des églises et des riches demeures. Il en reste de beaux vestiges exposés dans les musées archéologiques de la ville. La plus célèbre est la carte mosaïque de Madaba qui constitue la plus ancienne représentation de la Terre Sainte (VIème siècle) tableau d’un territoire allant, du Liban actuel jusqu’au delta du Nil, et de la mer Méditerranée aux déserts orientaux.

Nous partageons un bus avec un couple de maltais rencontrés à l’hôtel pour aller flâner en touristes sur les traces de l’histoire chrétienne : du mont Nébo où s’est éteint Moïse après avoir contemplé la Terre Promise, à Béthanie, lieu de baptême du Christ « certifié véritable » par la visite du Pape Benoit XVI. Emouvant, même si tout ça nous est assez inconnu, on l’avoue…

Nous n’oublions pas d’aller faire un plouf à 420 m sous le niveau des océans dans la mer Morte, si salée qu’elle n’abrite aucune vie. Avec un taux de salinité dix fois plus élevé que la Méditerranée, c’est vrai qu’on flotte ! C’est drôle. Mais c’est vraiment le seul intérêt du lieu. Les rivages désolés et crasseux, accessibles depuis les seules plages privées des hôtels pseudo-luxueux, le désastre écologique du niveau qui s’abaisse (plus d’un mètre par an en moyenne) tant le pauvre Jourdain est ponctionné en amont, ne nous font pas vraiment rêver.

Du 9 au 13 avril – De Madaba à Shawbak

C’est parti ! Le cœur léger, nous pédalons à nouveau pour un petit bout de chemin à l’écart du monde, là où le tourisme devient voyage.

Nous avons choisi de parcourir les 2/3 sud du Jordan Bike trail, partant de Madaba pour rallier Aqaba sur les rives de la mer rouge, 500 km et 10.000 m de dénivelée plus loin. Pour l’occasion nos vélos de voyage se sont mués en vrais 4×4. Débarrassés de leurs garde-boue urbains, et chaussés de gros pneus tout terrain ils ont fière allure.

« …Ils ont fière allure » ?

Les faubourgs de Madaba s’effacent vite derrière nous au profit d’une campagne étonnamment verte à cette époque de l’année. Au-dessus de 800 m, des champs de céréales, de colza, des oliviers, des fleurs. Mais au premier wadi (canyon) rencontré, on plonge dans un univers minéral implacable. C’est un peu l’inverse du schéma auquel nous sommes habitués, et c’est un peu perturbant.

Il ne nous faut que quelques tours de roues pour retrouver les bonnes sensations de l’itinérance : légèreté, insouciance, liberté… Mais le relief nous rappelle déjà à l’inflexible loi de la gravitation universelle. A-coup et raidillons s’enchaînent dans des pentes à 12 ou 15% qui transpercent les courbes de niveau. Ça s’annonce physique.

Les +1.800 m de dénivelée, dont une grosse partie sur piste, engrangés au soir de cette première journée piquent un peu les cuisses. Alors que nous entrons dans le village d’Al Shaqeikh et cherchons un coin pour camper, on nous désigne l’école. A condition de déguerpir avant 7h demain matin !

Et on commence à découvrir les jordaniens. Accueillants, amicaux, souriants, courtois, c’est ce que l’on ne cessera de répéter au long de de voyage… On nous questionne, on nous amène du thé, on nous propose de recharger notre GPS, on nous ramène du thé… Après une bonne heure d’échanges maladroits entre mauvais anglais et google traduction français/arabe, Macram nous tend son smartphone. Il y est écrit « Do you want some privacy ?». Trop mignon. Ouais, ça serait vraiment sympa. On aimerait bien se laver, se changer et dîner.

Après une excellente nuit dans notre cocon de toile, si on met de côté le concert du muezzin sur les coups de 4h30, on se réveille déjà au second matin de cette balade pétris des bonnes émotions du voyage au long cours.

Les quatre jours qui nous séparent de Shawbak se dessinent comme le premier : une succession de plateaux verts et fleuris, balafrés par d’impressionnants wadis qui écoulent leurs maigres filets d’eau vers l’ouest, jusqu’à la mer Morte. Descentes sublimes suivies de remontées impitoyables !

Nous voilà donc repartis pour un tour de montagnes russes entre +1.200 et -200m, en attaquant par le Wadi Mujib, le « grand canyon » Jordanien. Les pistes de notre itinéraire qui se frayent un chemin dans ces montagnes ne cessent de nous ravir.

Le temps est idéal en ce début d’avril. Un soleil raisonnablement chaud adouci par un vent frais et vif : parfait pour rouler sans suffoquer dans les côtes caillouteuses.

L’arrivée à Karak nous réserve la jolie surprise de son château croisé. Une visite matinale en solitaire pour explorer ce krak (Karak à Krak, vous avez saisi le lien ?) construit sur cet éperon rocheux, en plein désert, par des européens (quelles que soient les bonnes ou mauvaises raisons de leur présence), au XIIème siècle, ça laisse quand même un peu pantois.

La ville moderne ne présente en revanche à peu près aucun intérêt. Mais comme d’habitude, le voyage autonome nous apporte son lot de petits étonnements et surprises lorsqu’il faut se ravitailler en dattes, en fruits secs, en légumes, et jusque dans les boulangeries croulant sous les pâtisseries orientales ouvertes 24h/24. Somme de petites choses anodines qui font le sel de l’itinérance.

La route continue à nous mener par monts et par vaux dans des paysages fascinants qui nous font remercier chaque jour l’auteur de cet itinéraire magique. Tracé avec intelligence, évitant les axes fréquentés, ramenant dans les villages pour se ravitailler, indiquant les points d’eau,… y a rien à jeter. On s’éclate et on en prend plein la vue.

Ce soir à Abu Bana, Ahmed nous ayant vu installer notre tente au centre du village, nous propose de nous héberger. On est un peu gênés mais on se rend vite compte que le grand bâtiment rectangulaire casé dans la cour de la maison, sorte de tente bédouine « en dur » chaleureusement meublée de tapis et de canapés, est justement fait pour ça. Venez, venez, on a une chambre d’amis, vous ne nous dérangerez pas. Ça fait au moins 80 m², on ne sera pas à l’étroit pour dormir.

Après ces trois journées très physiques, on décide de couper en deux la quatrième étape pour arriver tôt à Dana et son impressionnante vallée. (…lalala lala ;-)). La descente est un peu technique pour nos mulets chargés, mais on se pose avec bonheur dans le premier joli village de notre route. Flanqué au bord d’une falaise, ses maisons de pierres se confondent avec la montagne en arrière-plan et il offre un belvédère prodigieux sur un canyon vert dévalant jusqu’à la vallée de la mer Morte. Pionnière en matière d’écotourisme en Jordanie, la réserve naturelle de Dana accueille les amateurs de randonnées. Nous y retrouvons une bonne ambiance de voyageurs cosmopolites.

Du 14 au 16 avril – Petra

En quittant Shawbak et son château nous changeons résolument de décor pour entrer dans la caillasse, laissant derrière nous les plateaux verdoyants. Des pistes en balcon d’anthologie nous font glisser euphoriques le long des formations de grès rouge sculptées par le temps, sorte de hors d’œuvre avant la découverte de Petra.

Comme chaque jour, notre route croise des campements de nomades esseulés et miteux. Les tentes traditionnelles ont cédé la place aux bâches de plastique, les enfants miséreux s’occupent des quelques chèvres qui trainent alentour. Quelle place reste-t’il dans ce monde urbanisé pour ces déshérités qui vivent sans port d’attache ?

Comme chaque jour également, nous subissons les assauts de quelques bandes de chiens excités par le manège de nos roues. Notre maîtrise de la gent canine acquise en Amérique du Sud nous donne une belle assurance face aux babines retroussées : on s’arrête, on jauge, on ramasse une pierre, et… on a rarement besoin de la lancer. Ça marche (presque) à tous les coups, d’autant que les maîtres sont beaucoup attentifs et sévères avec leurs clébards, que les bergers péruviens ou boliviens.

Comme chaque jour enfin, nous sommes charmés par la gentillesse et la bienveillance des jordaniens qui ont vraiment le sens de l’accueil chevillé au corps. On pourrait s’arrêter tous les cinq kilomètres pour boire un thé ou déjeuner à la maison.

Wadi Musa (la Petra moderne) nous accueille sans transition avec son flot de touristes, de bus, de 4×4 et de taxis. Nous nous sommes réservé deux jours pour arpenter la capitale nabatéenne redécouverte au début du XIXè siècle.

En ce petit matin du 15 avril, nous pénétrons dans le Siq. 1.200m de long, une petite centaine de mètre de haut, et 3 à 16 m de large, ce sont les mensurations du canyon qui protégeait l’accès à ce joyau du proche orient. Une sorte de parcours initiatique mène jusqu’au Khazneh (le trésor) qui se dévoile dans un dernier virage et nous saute à la figure. Vision saisissante que cette façade imposante ciselée à même la montagne éclairée par le soleil levant.

Petra, c’est un centre-ville, sa rue principale bordée de monuments imposants : théâtre, temples, tombeaux. Mais c’est aussi ses faubourgs qui s’étalent sur des kilomètres dans les montagnes alentours, et que l’on pourrait arpenter pendant des jours. Nous écumons les principaux sentiers donnant accès aux sommets qui offrent des points de vue admirables sur la ville, loin des perches à selfies.

Des marches qui nous imprègnent de la dimension des lieux et du travail troglodyte herculéen réalisé par les nabatéens au VIè siècle avant notre ère pour bâtir la capitale de leur empire qui régnait alors sur le commerce de la myrrhe et de l’encens et des épices du Yemen à la Syrie.

Le grès de ce massif, façonné par les hommes et les éléments, fait virevolter ses couleurs dans une palette invraisemblable allant du blanc au bleu, en y mêlant toutes les nuances de jaune, d’oranges et de de roses. Stupéfiante, Petra fait assurément partie des merveilles de notre planète.